Mon corps et mon âme se disputent. L’un traine sa carcasse, alors que l’autre veut continuer la promenade. Ils ne sont plus sur la même longueur d’onde. Il faut veiller à ce qu’ils s’accordent, dans le bon sens bien sûr. Le moral influence-t-il la guérison ? C’est ce que l’on pense couramment. Pourtant des études ont montré qu’il n’y avait pas de corrélation prouvée. A ce sujet, je voudrais vous faire partager cette réflexion de Jérôme Buard, mon voisin, disparu en 2013, Docteur en sciences biologiques et fondamentales appliquées.
Le moral et le cancer
« Quand le moral va, tout va. »
« Garde le moral, tu pourras tout surmonter. »
« Un bon moral, l’envie de se battre contre le cancer, c’est important pour vaincre la maladie »
Combattre le cancer par un moral d’acier : vrai ou pas vrai ?
Bien avant d’être atteint par ce cancer du rein avec métastases osseuses et hépatiques, j’avais comme une petite moue intérieure quand j’entendais ces encouragements au moral vers d’autres patients cancéreux. Un doute d’abord sur la validité de telles assertions. Qu’est ce que le moral, bon ou mauvais, pourrait bien faire à une cellule tumorale, dans sa course folle aux divisions ? Bon, OK, peut être un mécanisme biscornu avec stimulation du système immunitaire en intermédiaire… Pourquoi pas ? Mais deuxièmement et surtout, je pensais que, si ce n’était pas vrai, suggérer qu’un bon moral peut vous guérir du cancer envoie un message terrible à ceux qui ne guérissent pas. Tu n’as pas fait preuve d’un moral assez bon, pas assez de volonté, c’est donc finalement un peu ta faute si tu y passes. Si même tu te laisses aller à organiser la suite, si tu prépares ta mort en essayant de la rendre la moins douloureuse possible pour ceux qui restent, tu auras perdu du temps en ne te « battant » pas, et, encore une fois, tu es un peu responsable de ta propre disparition.
Une question importante, une question qu’on peut tester
Donc, de deux choses l’une : soit la combativité a un effet positif sur la survie et il faut comprendre le mécanisme qui est derrière, avec peut être de nouvelles voies thérapeutiques à explorer, soit ça n’a aucun effet et il faut arrêter de culpabiliser les patients en suggérant qu’ils ne sont pas assez combatifs. Je trouve donc intéressant d’essayer de répondre, le plus objectivement possible à cette question : « quel est l’impact d’un bon moral, de la combativité (« fighting spirit » en anglais), sur la survie de patients cancéreux ? ». On peut essayer d’y répondre si on est psychologue et donc capable de poser les bonnes questions à des patients cancéreux. On répond d’autant mieux et d’autant plus précisément que les patients interrogés sont nombreux et qu’on s’entoure des précautions nécessaires à de telles études statistiques (groupes témoins etc.).
De nombreuses publications : pas d’effet de la combativité sur la survie au cancer
Comme souvent, quand on pense avoir soulevé une question scientifique intéressante dans un domaine qui n’est pas tout à fait le sien, on s’aperçoit que quelqu’un a déjà traité le problème ! En fait, de nombreuses équipes de recherche ont planché sur cette question, à partir de la fin des années 70. Chacune de ces études regroupait un nombre relativement restreint de patients et analysait la corrélation soit entre leur combativité soit au contraire entre leur désespoir et leur survie au cancer. Par exemple, une étude portant sur 57 patientes atteintes de cancer du sein suggérait que la combativité avait un effet positif sur la survie (Greer et al. 1979). Mais le nombre restreint de patientes testées, la façon biaisée dont les questions étaient posées et l’absence d’un groupe témoin approprié étaient autant de problèmes qui n’auraient pas dû permettre à cette étude d’être publiée. Vingt ans plus tard, une étude large, incluant 578 patientes atteintes de cancer du sein, des groupes témoins appropriés et des questions non biaisées démontra que le degré de combativité n’avait aucun effet sur la survie des patientes (Watson et al. 1999). Enfonçant le clou, c’est en 2002 que fut publiée une méta-analyse de 26 études (cancer du sein dans la moitié des études), regroupant l’ensemble des données de 4946 patients et permettant d’avoir des chiffres beaucoup plus importants pour tester la question de la combativité (« mesurée » pour 1454 patients) (Petticrew et al. 2002). Là encore, la conclusion est que non, rien ne permet d’établir une association entre la volonté de s’en sortir et la survie effective ou l’absence de rechute du patient.
Au delà de cette conclusion négative importante, les auteurs conseillent donc aux patients de ne pas s’imposer à eux même une attitude psychologique qui n’aura pas d’influence sur leur propre survie. Ne pas se mettre la pression. Ne pas culpabiliser si on n’arrive pas à avoir, en toutes circonstances, l’instinct guerrier contre la maladie.
Pourtant, ces conclusions vont tellement à l’encontre de ce qu’un grand nombre d’entre nous aimerait penser que les tenants de la psychologie positive continuent, dix ans après la publication de ces études solides, à distiller cette idée fausse que la combativité influence positivement la survie au cancer. C’est même semble-t-il un exemple type de publications biaisées dans la littérature scientifique, avec d’un côté des publications qui continuent à mentionner l’effet de la combativité alors qu’aucune donnée ne le prouve et de l’autre côté des conclusions contraires (comme celles de Petticrew 2002), nécessitant d’être particulièrement solides pour pouvoir être publiées. On peut lire alors de véritables coups de gueules scientifiques : les derniers articles qui répètent ce qui est résumé ci dessus, demandent aux tenants de la psychologie positive d’arrêter de prendre leurs désirs pour des réalités, d’arrêter de mettre la pression sur les patients et d’accepter, simplement, les conclusions d’études scientifiques solides (Coyne et al. 2010)
A quoi bon garder le moral, alors ?
Est ce à dire que rien ne sert d’essayer de garder le moral ? Mon avis est que si, ça sert à quelque chose ! Il faut garder le moral, la bonne humeur, avoir assez d’humour pour s’amuser des situations cocasses dans lesquelles les circonstances, la maladie peut nous mettre. Pourquoi ? D’abord pour supporter soi même ces circonstances, rester digne pour soi même, être fier de pouvoir rester digne, se trouver soi même pas si inintéressant que çà. La déchéance physique est déjà tellement une source importante d’abattement que le bon moyen de ne pas se laisser abattre mentalement est de dresser un contrefeu d’humour et de bonne humeur. Mais surtout, il s’agit du moral des autres, les proches. On se doit de les préserver et ne pas rajouter, sous leurs yeux inquiets, à une possible déchéance physique une déchéance morale qui pourrait les plonger, eux aussi, dans le marasme psychologique. Si ça se passe mal pour vous, vos proches vont rester principalement avec le souvenir que vous leur aurez fabriqué, un peu au cours de toutes ces années mais surtout durant ces derniers mois. Autant essayer de leur laisser de belles images. Mais, quoiqu’il en soit, nous, patients, devons revendiquer le droit de craquer de temps en temps. Cela ne changera rien à la conclusion, ça peut libérer d’un certain poids, permettant ainsi de faire à nouveau bonne figure le lendemain, vers les autres et vers notre miroir.
Jérôme Buard (2013).
Il se trouve que j’ai moi-même toujours essayé de garder un bon moral. J’ai supprimé les somnifères et autres anxiolytiques. Je ne prends plus que des antidouleurs.
Menteur, tricheur, qu’il me fait, le petit diable, derrière mon oreille droite. Quoi ? Balbutiai-je ? Oui, et le Whisky, le soir, en toute discrétion… Et le verre de vin à table, pour accompagner tes radis. Et Loulou, le chat qui te câline. Tout ça, c’est pas des tranquillisants peut-être ? Oui, je l’avoue. Mais c’est pas remboursé par la sécurité sociale. Ca vous coûte pas un rond.
A ce propos, je voudrais dire un petit mot sur notre système de santé français. Je suis bien placé pour en profiter pleinement. Tous ces personnels soignants, professeurs, médecins, chirurgiens, infirmières, manipulatrices, brancardiers, aides-soignants, kinésithérapeutes, diététiciens, et personnel administratif. Ces gens-là travaillent pour nous, les accidentés de la vie, pour vous, les familles, les amis, les associations, qui portez le fardeau de l’accompagnement nécessaire. Je peux citer aussi les équipements, la prise en charge financière et le suivi par des équipes compétentes et dévouées. Alors, continuons à râler pour ce qui ne marche pas. Mais prenons conscience que nous sommes dans un beau pays.
Je vous assure que j’ai rien pris. Mais dites-le moi, si j’en fais trop, je reprendrai mes tranquillisants.
J’ai rendez-vous mercredi 7 juin avec le Professeur GARREL pour les résultats du SCAN post-traitement.
Bon Week-end de la Pentecôte.

garde le moral pour toi et pour tes proches. Encore bravo pour ton courage et j’attends les longues suites de tes nouvelles aventures…le héro gagne toujours à la fin !
J’aimeJ’aime
Merci beaucoup. (Mais je ne suis pas un héros.) 🙂
J’aimeJ’aime